Conférence sur les financements innovants - Discours de d’ouverture de Bernard Kouchner (28 mai 2009)
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Conseiller spécial du Secrétaire général des Nations unies,
Monsieur le Secrétaire général de l’OCDE,
Mesdames et messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et messieurs les Directeurs généraux,
Mesdames et messieurs les représentants de la société civile,
Mesdames et messieurs,
Nous sommes réunis ici parce que nous sommes tous habités par une même question : voulons-nous continuer de parler indéfiniment des « objectifs du millénaire » pour le développement ? ou bien voulons-nous pouvoir parler un jour des « réalisations » du millénaire ?
Nous sommes réunis ici parce que nous partageons tous une même conviction : on peut changer le monde à force de volonté sans relâche, et aussi avec de l’imagination !
Les financements innovants ont fait leurs preuves. Ils n’en sont plus à la phase d’expérimentation. Ils ont déjà permis de dégager plus de 2 milliards de dollars depuis 3 ans.
Mais les besoins de financement restent immenses. Pour assurer l’éducation primaire de tous, améliorer la santé maternelle, lutter contre la faim, les grandes pandémies, garantir un développement respectueux de l’environnement. Nous savons tous que 175 milliards de dollars sont nécessaires chaque année au niveau mondial pour financer l’atténuation climatique. Nous savons tous que 35 milliards de dollars sont nécessaires pour atteindre les OMD uniquement dans le secteur de la santé en 2015.
Ces besoins ne sont pas couverts par les financements classiques. Si j’osais, je dirais qu’ils ne sont pas couverts par manque d’imagination !
Aujourd’hui, il faut changer de vision : face à la crise financière, c’est notre intérêt de compléter les flux d’aide traditionnels qui ont pourtant atteint un niveau record en 2008 de 119 milliards de dollars. Il faut pouvoir aussi tirer partie de l’interdépendance croissante du monde, il est de notre intérêt de mutualiser les ressources des Etats et des acteurs privés.
Les financements innovants sont arrivés à un tournant. Ma conviction, c’est que nous devons partir à la conquête de nouveaux acteurs, de nouveaux secteurs, et de nouveaux instruments.
Il faut que des Etats, toujours plus nombreux nous rejoignent, sur des initiatives comme la taxe billet d’avion. Cette initiative est déjà mise en place par 13 pays. Elle permet d’assurer le traitement pédiatrique anti VIH Sida de 100 000 enfants par an à travers les programmes d’Unitaid. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Il faut partir aussi à la conquête de nouveaux secteurs. Rappelons-le, les financements innovants se sont jusqu’à présent concentrés sur des objectifs en matière de santé, et c’est un succès ! Cela doit nous encourager à élargir le champ d’action, en direction notamment de l’éducation, du changement climatique...
Il faut partir à la conquête de nouveaux mécanismes, qui fassent intervenir les pays du Nord comme les pays du Sud. La crise financière actuelle nous en donne paradoxalement l’occasion. Elle ébranle les certitudes ! Dans ce contexte, les financements innovants peuvent aussi contribuer à une meilleure régulation de l’économie. Ils sont un outil précieux dans la mondialisation plus juste et plus humaine que nous voulons bâtir. La France, pionnière dans la création de nombreux instruments innovants, veut aujourd’hui continuer à proposer à ses partenaires de nouvelles ambitions au service des plus pauvres. Il demeure impératif de convaincre de l’utilité des financements innovants et de réfléchir à des mécanismes adaptés aux besoins du monde en développement, fondés sur un principe de rationalité économique. Il nous faut aujourd’hui nourrir une réflexion courageuse et ambitieuse qui puisse aboutir à tirer le meilleur bénéfice de l’interdépendance financière croissante des marchés internationaux.
La future présidence chilienne du Groupe pilote, que je salue ici, a donc devant elle un chantier impressionnant ! Elle arrivera à un moment décisif, marqué par le refus de la résignation.
La nécessité du changement d’échelle en matière de financements innovants est désormais à l’agenda de la communauté internationale. Il a été reconnu par les Nations-Unies lors de la Conférence de Doha. Il a été reconnu par l’Union européenne à travers les dernières conclusions du Conseil. Il faut maintenant aboutir à des actes.
Je voudrais en ce sens vous inviter, nous inviter collectivement, à concrétiser notre engagement à travers plusieurs décisions. Parce qu’on ne peut se satisfaire d’objectifs, si généreux soient-ils. C’est le rôle du Groupe pilote que de mobiliser la communauté internationale sur ces enjeux ; c’est également notre devoir, me semble-t-il, de leur donner un débouché en prenant des décisions.
Ces engagements concrets, quels sont-ils ?
que chacun des pays membre mette en oeuvre dans l’année qui vient un mécanisme de financement innovant, dans la palette des mécanismes qui vous seront proposés durant ces deux jours ;
que les initiatives existantes soient investies par de nouveaux pays, pour augmenter les ressources en faveur du développement (les projets de manquent pas entre la taxe sur les billets d’avion finançant UNITAID, l’IFFIm, le mécanisme dit « D.tax », les contributions volontaires de solidarité mises en place par la Fondation du Millénaire, les « Advanced Market Commitments », Product RED, etc.)
Que nous prolongions notre travail sur la lutte contre l’évasion fiscale, qui prive les pays en développement de ressources considérables, comme le Groupe pilote s’en est fait l’écho depuis la présidence norvégienne ;
Que nous précisions la nécessité de réduire les coûts des transferts des migrants et favorisions leur utilisation la plus efficace possible ;
Qu’un débat soit amorcé sur le changement climatique et en particulier l’affectation, sur une base volontaire, d’une partie du revenu des enchères de crédits carbone au développement ;
enfin à titre personnel je souhaite, devant le succès des mécanismes innovants de taxation, que le groupe pilote réfléchisse à de nouvelles formes de contributions, probablement sur une base volontaire dans un premier temps. Ces projets de taxe comme celle sur les transactions monétaires (CTL), supposent une adhésion large et ne seront efficaces que si plusieurs Etats et évidemment ceux au sein desquels circulent les principales monnaies décident, de manière coordonnée, de les mettre en place, sur la totalité des marchés des changes. Et pour cela, il faudra convaincre les banques et leurs clients... Notre pays est prêt à accompagner un groupe pionnier d’Etat pour appliquer ce type de taxe et a déjà voté en 2001 la possibilité de mettre en place une telle mesure, qui pourrait s’appliquer au marché européen.
Ma conviction Mesdames, Messieurs est qu’il faut aujourd’hui savoir tirer le meilleur bénéfice de l’interdépendance financière croissante des marchés internationaux, en prélevant une fraction des transactions qui ont cours quotidiennement, par des mécanismes légers et sur une base volontaire, parce que le financement du développement doit devenir un impératif moral. Ces fonds seraient ensuite reversés au service d’un fonds alimenté aussi bien par des ressources publiques que privées, sur des projets à taille humaine, sélectionnés pour leur inventivité et leur efficacité, sur le modèle des fonds éthique qui ont connu quelques succès, il faut le dire.
Ces objectifs figureront, je l’espère, au tableau des avancées, lors de notre prochaine session. Nous serons aidés en cela par les grandes réunions internationales où le Groupe pilote pourra faire entendre la voix des financements innovants : au G8 très prochainement en Italie, ou lors de l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre prochain où nous pourrions renouveler la Déclaration contre la faim et la pauvreté. Ce rendez-vous du mois de septembre sera d’ailleurs l’occasion de remettre au SGNU un rapport sur les financements innovants, qui pourra également s’inspirer des travaux que nous menons de concert avec nos amis britanniques. Les conclusions de nos travaux pourront, je l’espère, inspirer cette rédaction.
Il nous revient désormais, collectivement, d’être à la hauteur de nos promesses.
Je vous remercie.
Le 22 juin 2009